Jean-Pierre Berlan

VENDREDI 8 JUIN 2018 DE 12H00 À 13H30

La planète des clones

Conférence en présence de Dominique Masset – Les Faucheurs Volontaires d’Ariège

Les cultures modernes – les champs sont constitués de plantes identiques ou presque – « elles font la table » – répondent aux exigences de la normalisation, de la standardisation, de l’uniformisation propres au monde industriel. La technique moderne de sélection, la méthode de l’isolement, consistant à remplacer une variétés (le caractère de ce qui est varié, contraire de l’uniformité) par des « copies » d’une plante sélectionnée au sein de la variété est pratiquée dès le début du 19ème siècle et codifiée en 1836 en Angleterre. Elle exige simplement des plantes individuellement reproductibles, comme c’est le cas des espèces autogames comme le blé.

Bref,  les clones ont remplacé les variétés paysannes, ce qui nous a échappé puisque nous utilisons toujours le terme « variété » pour désigner ce qui en devenu le contraire ! Ces clones étant de par la loi homogènes et stables peuvent être protégés, devenir la propriété du sélectionneur : ils répondent donc à une deuxième exigence du capitalisme industriel, séparer la production de la reproduction, de faire de cette dernière une marchandise, un monopole du sélectionneur. Ils amorcent une rupture de l’un des fondements anthropologiques de notre humanité, la gratuité de la Vie.

Cette rupture ne peut se faire sans une profonde transformation des relations sociales : le replacement des paysans autonomes par les « exploitants », c’est-à-dire les techno-serfs de l’agro-industrie ; la sécularisation du vivant dont la science a fait des filaments profanes d’ADN ; le remplacement des artisans semenciers par un cartel d’entreprises maintenant sous le contrôle de transnationales des Poisons (comme elles se désignaient elles-mêmes à l’issue de la Seconde Guerre Mondiale !). En deux siècles, cette transformation est presque achevée. Et puisque pendant longtemps, il était politiquement impossible d’interdire au paysan de semer le grain récolté, la science est venue au secours du capitalisme industriel avec le maïs « hybride », l’innovation emblématique des sciences agronomiques au 20ème siècle.

Agronomes, généticiens et sélectionneurs expliquent qu’un phénomène biologique la vigueur « hybride » ou hétérosis fonde le maïs « hybride ». C’est la plus formidable mystification scientifique du 20ème siècle. En effet, la technique des hybrides consiste à fabriquer une variété de maïs constituées de plantes reproductibles à l’identique par le sélectionneur et lui seul « en faisant autant d’autofécondations que possible et en les poursuivant année après année  jusqu’à ce que le stade homozygote soit atteint ou presque », puis  en «  procédant à tous les croisements entre ces différentes lignées pures » (Ibid.). Il devient alors possible d’appliquer la méthode de l’isolement en testant les croisements « pour leur rendement et pour les autres qualités désirables » et en sélectionnant le meilleur. » C’est ainsi que George Shull décrit sa technique des « hybrides de lignée pure » en 1909. Ces « hybrides » sont de toute évidence des plantes de maïs ordinairesreproductibles par le sélectionneur et lui seul. Elles ne sont pas « hybrides », mais propriétaires ! En France, les heureux propriétaires de ces semences miracles – des prétendues « coopératives » presque toutes dépendantes des Empoisonneurs – taxent ainsi les producteurs de maïs de 15% de leur production pour rien qui n’aurait pu être obtenu 10 fois moins cher et plus rapidement.

D’un seul coup, Shull a résolu les deux problèmes fondamentaux du capitalisme agro industriel : en finir avec la diversité et la gratuité du vivant. Ce succès du capital industriel aux dépens des paysans, de l’intérêt social et de la diversité a donc fait l’objet d’une célébration extravagante. Il constitue une métaphore puissante des mystifications de la biologie moderne.

Jean-Pierre Berlan

Ingénieur Agronome Institut National Agronomique Paris, Docteur d’Etat es sciences économiques, Directeur de recherche à la retraite de l’Institut National de la Recherche Agronomique, Montpellier.

Travaux sur la transformation de l’agriculture au XXe siècle et le rôle de la génétique agricole. Travaux sur les interactions entre la dynamique scientifique et l’économie politique à partir du cas de l’innovation-clef de la recherche agronomique au cours de ce siècle, le maïs dit “ hybride ”.

Livres

La guerre au vivant, Ogm et autres mystifications scientifiques, Marseille, Agone, 2001.

A paraître : La planète des clones, les sciences de la diversité paysanne à l’uniformité industrielle. La Lenteur 2018